Menu
Facebook Twitter email

S.A.S. le Prince Albert II S'est vu remettre les insignes de docteur Honoris Causa de l'Université de Nice-Sophia-Antipolis

Allocution de S.A.S. le Prince

Monsieur le Ministre,
Excellences,
Messieurs les Conseillers de Gouvernement,
Monsieur le Préfet,
Mesdames et Messieurs les élus,
Monsieur le Recteur,
Mesdames et Messieurs les Présidents et Vice-présidents d'Université,
Mesdames et Messieurs
les Doyens,
Professeurs,
Chers Amis,


Je suis particulièrement heureux de me trouver aujourd'hui dans cette enceinte prestigieuse du théâtre du grand château de Valrose de l'Université de Nice Sophia-antipolis pour recevoir une distinction aussi éminente.

Je tiens tout d'abord à remercier les orateurs qui m'ont précédé pour les paroles chaleureuses qu'ils ont prononcées.

Ces témoignages élogieux comme, au demeurant cette cérémonie à laquelle, Monsieur le Président, vous m'avez convié, confortent l'engagement qui est le mien et m'encouragent à poursuivre le chemin que, par conviction, j'ai choisi d'emprunter.

Vous honorez cet après-midi l'action que je conduis, en ma qualité de Chef d'Etat mais également à la tête de ma fondation, en faveur de la protection de notre planète, de la lutte contre le réchauffement climatique, de la défense de la biodiversité et de la préservation des ressources en eau.

Je pourrais donc centrer mon propos sur notre environnement menacé, les paysages que j'ai parcourus lors de mes expéditions, les espèces en péril qu'il m'a été donné de voir à ces occasions.

Cependant, comme vous l'avez souligné, ce dont je viens aujourd'hui témoigner concerne avant tout les êtres humains, nos enfants, nos petits-enfants aussi, auxquels nous laisserons une planète fragilisée.

Dans d'autres régions, d'autres continents, certains sont déjà quotidiennement soumis à des dysfonctionnements climatiques ou écologiques majeurs.

Tous ensemble, nous sommes confrontés aux mêmes problématiques, au même défi. Habitants d'un même monde, nous sommes solidaires face à un même danger.

Cette vérité n'a pas toujours été une évidence. Il a fallu du temps, du courage et de la persévérance, pour qu'une donnée aussi importante soit reconnue, acceptée, et surtout comprise.

Les faits, pourtant, sont là. Les rivières aux crues démesurées, les sécheresses d'une ampleur nouvelle, les glaces disparues en été, les espèces animales et végétales hier abondantes et désormais absentes : tous ces faits sont observables. Nous savons leur impact et nous voyons  chaque jour leurs conséquences sur les populations.

Nous savons que les habitants de villages engloutis par la fonte de glaciers sont déplacés suite à ce phénomène.

Nous avons en tête les images de camps de réfugiés arrachés à leur terre par la soif, la faim et la guerre.

Derrière ces drames, un même coupable : l'homme, c'est-à-dire nous-mêmes, notre appétit insatiable, notre vue à court terme.

Je tiens ici à rendre un hommage particulier au travail déterminant des scientifiques qui, depuis des années, jouent un rôle exceptionnel d'étude, d'explication et d'alerte. Les progrès que nous avons accomplis au cours des dernières décennies dans la compréhension de notre climat et de nos écosystèmes sont uniques. Nous les devons à une mobilisation scientifique sans précédent dans l'histoire de l'humanité.

Voir ainsi les chercheurs se réunir par-delà les frontières et les continents, constitue un motif d'espérance. Depuis les premières intuitions sur le réchauffement climatique, il y a cinquante ans à peine, des pans entiers d'une science nouvelle ont été construits, qui nous permettent aujourd'hui de faire face à ces défis avec de vrais moyens.

Les travaux des scientifiques ont aussi permis, et c'est un fait majeur, une sensibilisation très importante des populations. Nous voyons apparaître sur tous les continents une prise de conscience nouvelle, impensable il y a dix ans encore, quand la réalité même du changement climatique était sujet à polémique.

Il ne faudrait pas, pourtant, que ces premières victoires nous donnent le sentiment que la partie est gagnée.

Le plus difficile sera, dans les semaines à venir, de parvenir à un véritable accord lors du sommet de Copenhague, de transformer la mobilisation en décision, et la décision en action.

L'urgence connue, il nous faut maintenant agir.

Nous sommes entrés dans la phase décisive où les certitudes scientifiques ont atteint leur but et cèdent la place aux choix politiques et moraux. C'est un moment crucial.

L'enjeu est clair : d'ici vingt ans, le monde aura radicalement changé. Le temps presse pour choisir la nature de ce changement : soit notre inaction laisse place à un bouleversement climatique et écologique sans précédent, irréversible, et aux conséquences encore incalculables ; soit nous prenons la décision courageuse de modifier la manière dont nous nous comportons au regard de notre environnement.

Pour répondre à la menace du changement climatique, aux dangers qui guettent la biodiversité et aux maux qui frappent les océans au travers du dangereux phénomène de leur acidification, il nous faudra rompre avec un modèle de croissance qui nous a offert depuis deux siècles des progrès constants que nous pensions éternels. Cela implique pour chacun de vraies remises en cause.

Les pays les plus émetteurs devront apprendre à produire et à consommer autrement.

Les puissances émergentes devront revoir les conditions de leur développement et s'interroger sur des ambitions pourtant légitimes et naturelles.

Et les plus pauvres devront être responsabilisés et aidés, bien mieux et davantage qu'ils ne le sont aujourd'hui, pour s'engager dans un vrai développement durable.

Car nous ne pouvons pas accepter que les efforts pèsent uniquement sur les plus fragiles, ni supporter toujours le même constat d'inégalité à travers la planète.

Face à ce risque majeur, il nous appartient aujourd'hui de renouer avec les principes humanistes, socle de nos sociétés et qui ont rendu leur essor possible. Des principes simples et pourtant universels : la dignité humaine comme principe, la justice comme objectif, le dialogue comme moyen.

C'est ainsi que nous pourrons bâtir une nouvelle croissance économique, plus durable, plus respectueuse des ressources de notre environnement et surtout mieux partagée.

Vaste programme, bien sûr, mais en tout état de cause rendu inévitable par la crise actuelle comme par la raréfaction des combustibles fossiles sur lesquels nos sociétés industrielles se sont construites depuis deux siècles. Qu'il nous faille anticiper de cinquante ou cent ans la disparition du pétrole n'est pas une régression. C'est au contraire une occasion de rompre avec l'idéologie du court terme et la frénésie de consommation à laquelle nous avons trop souvent succombé.

Comment pourrions-nous espérer nourrir en 2030 neuf milliards d'êtres humains, si nous ne changeons pas en profondeur nos modes de production ? Si nous en restons à une vaine alternative entre la surpêche qui menace nos espaces maritimes, et l'aquaculture ?

Il y a là des contradictions profondes, auxquelles nous devrons faire face.

Le risque serait de croire qu'une nouvelle croissance verte puisse se substituer, sans effort ni remise en cause, à nos systèmes actuels. Nous nous devons de saisir l'opportunité de refondation qui s'offre à nous. Notre tâche est donc d'inventer.

Inventer un mode de calcul de la richesse qui ne valorise pas la destruction de notre patrimoine commun ; inventer une industrie qui ne se nourrisse pas du pillage de nos ressources naturelles ; inventer une agriculture qui ne crée pas des besoins impossibles à assouvir ; inventer une finance qui ne soit pas déconnectée des réalités et des besoins des populations. Inventer surtout un lien social planétaire autour d'enjeux communs.

Face à des risques qui dépassent les frontières, nous ne pouvons plus nous en remettre à la gestion traditionnelle du monde. Toutes les volontés sont nécessaires, tous les Etats doivent se mobiliser, quelle que soit leur taille ou leur richesse, toutes les opinions publiques doivent se faire entendre.

C'est pourquoi il nous faut mettre en place une nouvelle gouvernance mondiale, dont l'ONU nous montre aujourd'hui le chemin, et qui doit être capable de concilier les intérêts de pays et de continents aux situations diverses.

Chacun doit comprendre qu'il y va de son intérêt.

Pour cela, nous avons besoin de développer un dialogue sincère. C'est l'un des enjeux de Copenhague.

Comme l'a récemment écrit Lord Nicholas Stern : « la réponse au risque climatique, c'est l'adoption par tous d'un nouveau modèle de croissance, c'est le pari de la créativité et de l'innovation contre le conservatisme. »

Je voudrais maintenant dire un mot des images que vous allez découvrir. Je voudrais que vous regardiez ce film comme une histoire humaine.

Ce reportage est d'abord une ouverture sur le travail et la vie des scientifiques que nous avons rencontrés là-bas, venus de tous les horizons pour converger vers cette terre hostile, autour d'objectifs communs. Ces femmes et ces hommes dont vous allez voir les visages et découvrir les conditions de travail si difficiles, ces passionnés passant de longs mois dans des bases au confort sommaire, prêts à tout quitter pour une cause qui les dépasse, qui nous dépasse, c'est d'abord pour eux que nous avons entrepris cette expédition.

Mais ce film, Mesdames et Messieurs, je voudrais surtout que vous l'envisagiez comme notre histoire à tous, l'histoire du siècle qui s'ouvre, le défi d'une génération qui a rendez-vous avec son destin.

Mesdames et messieurs, chers amis,

Dans son ouvrage déjà classique, Effondrement (NB : Collapse en anglais), le Professeur Jared Diamond analyse la manière dont plusieurs civilisations, avant la nôtre, ont disparu. Qu'il s'agisse des Sumériens, des Mayas ou des Vikings, toutes ont succombé à la combinaison de quatre erreurs : l'incapacité tout d'abord à prévoir les problèmes, puis à les identifier, à prendre ensuite les bonnes décisions et enfin à les mettre à exécution.

Nous n'avions pas prévu nos fautes écologiques. Nous avons eu toutes les peines du monde à les identifier. Nous voilà donc déjà confrontés à la troisième étape de l'enchaînement fatal décrit par Diamond.

Et pourtant, contrairement aux Sumériens ou aux Vikings, nous avons une chance immense. Celle de pouvoir compter sur les armes puissantes que sont l'intelligence des scientifiques, les prouesses de la technologie, la mobilisation des opinions publiques et la prise de conscience des politiques.

Surtout, nous pouvons nous appuyer sur un phénomène radicalement nouveau, qui explique une partie des changements positifs que je décrivais à l'instant : les Etats, les organisations internationales, les entreprises voient désormais leurs intérêts converger autour de cette mobilisation commune.

Il était difficile d'espérer un bouleversement, tant qu'il ne s'agissait que de se conformer à un système de valeurs, généreux, certes, mais loin d'être unanimement partagé. En revanche, dès lors que l'enjeu est de préserver les intérêts des Etats, qu'il s'agit d'éviter les pénuries, les guerres, les déplacements de populations auxquels nous condamnerait l'inaction, alors nous pouvons espérer que l'humanité, pour une fois, saura se montrer clairvoyante et raisonnable.

C'est pourquoi je veux être optimiste.

Je vous remercie.

S.A.S. le Prince Albert II S'est vu remettre les insignes de docteur Honoris Causa de l'Université...